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La brouette de Zanzibar par Ursulin Neveway
Pierre-Octave restera donc seul en ce long week-end pascal, il n’a pas souhaité accompagner ses parents dans leur résidence secondaire de Golf Juan, prétextant d’importantes révisions à faire. Ah, oui, nous avons oublié de le présenter : Pierre-Octave est le cadet de six enfants d’une riche famille. Ils habitent à Neuilly dans la banlieue huppée de l’ouest parisien. Ses cinq frères et sœurs volent maintenant de leurs propres ailes et ont acquit des situations qui les mettent à l’abri du besoin. Lui a encore plusieurs années à faire avant de devenir juge d’instruction comme il en a le souhait… Il est fier de pouvoir dire qu’il fera un jour ce métier qui lui permettra de lutter à sa façon contre la permissivité ambiante et le relâchement des moeurs.
Pierre-Octave est myope comme une taupe et sa peau est restée malade depuis sa puberté. Il a peu d’amis, on va même dire qu’il n’en a pas du tout, il avait donc organisé sa solitude en se passionnant pour le modélisme, et après s’être frotté aux avions et aux bateaux il cherchait à modéliser des objets des plus insolites, des meubles grands ou petits, des instruments de musiques, des monuments…
Ce samedi matin, il s’est levé de bonne humeur, malgré les nouvelles tristes que diffusait la radio. Ainsi le vieux pape ne se remettait pas… Son rêve d’aller à sa rencontre aux prochaines journées internationales de la jeunesse en Allemagne s’évanouissait petit à petit… Comme il aurait pourtant aimé y emmener Marie-Adelaïde ! Mais sans doute d’ici là le pape serait-il décédé et un autre pape aurait pris la place, mais sans avoir l’aura du dernier, il ne pourrait jamais dire, « je l’ai vu moi de mes propres yeux en 2005 et j’y étais avec Marie-Adelaïde ! »
Il passa rapidement sous la douche, son corps s’était musclé, il ne fréquentait certes pas les salles de musculation, ne supportant pas l’odeur de sueur qui s’en dégageait ni les regards appuyés de certains hommes trahissant par là leurs pulsions homosexuelles conscientes ou inconscientes. Non il s’entraînait à la maison, il avait tout ce qu’il fallait, il avait sa mini salle de musculation pour lui tout seul et il était le seul à y pénétrer, à l’exception bien sûr de la femme de ménage, il n’allait quand même pas faire le ménage, non ?
Il se lava le corps comme il en avait l’habitude au savon de Marseille, il avait horreur des odeurs, elles étaient pour lui toutes agressives, que ce soit les mauvaises, la sueur, l’urine ou les soit disant bonnes, pourquoi se parfumer ? Il n’en voyait décidemment pas la raison, il ne la voyait déjà pas chez les femmes, alors chez les hommes ! Non la seule odeur qu’il supportait c’est celle du « propre », celle émanant du savon tiède !
Puis il examina son visage, le récent traitement dermatologique d’un pourtant très renommé spécialiste des hôpitaux de Paris ne donnait pas plus de résultat que les autres. A 22 ans il restait boutonneux, acnéique, quand un de ces vilains boutons guérissait, un autre surgissait ailleurs, et cela lui minait la vie. Il se passa sans y croire la dernière lotion prescrite et entrepris de s’habiller.
Il lui fallait maintenant mettre son plan du week-end à exécution.
C’est tremblant d’appréhension qu’il saisit son téléphone portable. Hier soir il n’avait pu joindre Marie-Adelaïde. Répondrait-elle aujourd’hui ?
– Allo ! Marie-Adelaïde !
– Bonjour, Pierre-Octave !
– J’ai cherché à vous… à te joindre, hier soir… (il avait du mal avec ce tutoiement qu’elle lui avait pratiquement imposé)
– Oui, bon, ben je n’étais pas joignable ! Répondit la jeune femme sans autre précision
– Je suis seul à la maison tout le week end ! Je pensais qu’on pourrait peut être en profiter !
– Profiter de quoi ! Tu veux que je vienne chez toi ?
– Oui, je voulais vous… te faire découvrir quelque chose d’intéressant !
– Ça ne me dit trop rien, par contre si tu veux que nous sortions ensemble, je ne suis pas contre, il passe un festival de films japonais au quartier latin, j’aimerais bien voir un ou deux…
– Ce n’est pas contradictoire, on peut aller au restaurant, voir un film après et avant tout ça, on peut se voir chez moi !
– Mais pourquoi faire ?
– Fais moi confiance, c’est une surprise !
– Je vais réfléchir je te rappelle dans un quart d’heure !
De quoi avait-elle peur, il n’allait tout de même pas la violer ?
Il avait rencontré Marie-Adelaïde lors d’un court séjour dans une clinique dermatologique, toujours pour ces problèmes de boutons… Des problèmes elle en avait aussi, mais elle ce n’était pas des boutons, c’était des plaques rougeâtres. Ils étaient du même milieu, se reconnurent dans quelques goûts et idées communes, mais pas dans toutes, il lui avait parlé de sa passion pour le modélisme et cela avait semblé la passionner… et ils se revirent….
Il avait commencé à parler à ses parents de cette jeune femme, bientôt il leur présenterait, mais il faudrait aussi qu’il annonce à sa dulcinée qu’il souhaitait se fiancer avec elle… la peur d’un refus le rendait malade, pourtant il faudrait bien qu’il ose un jour le faire… la seule solution était de multiplier les sorties avec elle, les sorties, les invitations, les contacts, afin que la suite devienne comme un aboutissement logique et naturel.
La sonnerie du téléphone le sortit de sa rêverie :
– C’est moi, bon d’accord je vais accepter, à quelle heure veux-tu que je vienne !
Pierre-Octave sentit son cœur se remplir de bonheur
– En début d’après midi, 14 heures 30 par exemple ça irait ?
– Oui, d’accord, mais pas de blague, hein promis ?
– Tu sais bien que tu peux avoir confiance en moi !
– Non, je ne le sais pas bien, Pierre-Octave, nous ne nous connaissons à peine, je prends un risque en allant chez toi et en sachant que tes parents ne sont pas là !
– Mais tu as ma parole !
– Laisse tomber ce genre de propos, il y a des gens que l’on croit connaître depuis des années et qui parfois ont une attitude que l’on aurait jamais soupçonné… alors la parole d’une nouvelle connaissance…
Du coup Pierre-Octave sentit son cœur se refroidir… et c’est dépité qu’il s’entendit répondre :
– Ecoute, si tu ne veux pas venir, tu ne viens pas ! Je ne sais pas comment te prouver que tu ne risques rien !
– Tu ne pourras jamais prouver ça ! Si je viens c’est effectivement consciente des risques que je prends, et ces risques je les assume en toute connaissance de cause !
– Bon !
– Je serais donc là à 14 heures 30 ! A tout à l’heure Pierre-Octave.
Marie-Adélaïde raccrocha, cette invitation ne lui disait rien au départ, c’est quand il avait parlé de surprise qu’elle avait changé d’avis et si ce couillon n’avait pas compris le message qu’elle avait essayé de faire passer c’était à désespérer de lui ! Voilà longtemps qu’un garçon ne s’était pas intéressé à elle, il faut dire qu’avec ses problèmes de peau, les choses n’étaient pas évidentes, mais depuis ce séjour en clinique ses rougeurs avait sinon disparues, du moins tendance à se montrer plus discrètes… Un très léger maquillage là-dessus et si cela ne la transformait pas en top modèle elle passait au moins de la catégorie « à éviter » à celle « passable » Elle se dit qu’elle verrait bien comment tout ça évoluerait… en attendant à défaut d’autre mâle à se mettre sous la main se serait donc Pierre-Octave… Si seulement son traitement pouvait à lui aussi réussir… Elle se vêtit de bleu, il adorait cette couleur, préféra un chemisier plutôt qu’un autre haut à cause de la possibilité de le déboutonner, se maquilla très légèrement, c’est qu’elle ne pouvait pas se mettre n’importe quoi sur sa peau fragile, mais poussa la fantaisie jusqu’à se mettre un peu de fard bleu sur les paupières.
Pierre-Octave était partagé ! Partagé entre la joie de voir celle dont il était devenu amoureux devant le pas de sa porte et surpris de la voir s’être maquillée le visage ! Mais pourquoi ? Pourquoi ? Farouchement opposé à la prostitution quelle qu’en soit sa forme, il ne pouvait admettre que quelque chose chez une femme lui rappelle les créatures qui s’y adonnaient.
– Quelque chose ne te plait pas ? Demanda la jeune femme !
– Non c’est la surprise, je suis content pour toi, on, dirait que ta peau va vachement mieux !
Il se trouva génial d’avoir trouvé un si beau mensonge en si peu de temps !
Un moment il se demanda s’il ne faisait pas fausse route, mais quand on est amoureux on pardonne beaucoup de choses, il faudra qu’il lui explique qu’il n’aime pas le maquillage. Après tout en discutant, on peut toujours faire évoluer les choses, cette fille n’est pas parfaite, mais lui non plus ne l’était pas !
– Veux tu boire quelque chose ?
– Qu’est ce que tu as de bon ?
– Un jus d’ananas peut-être ?
– Tu n’aurais rien de plus corsé !
– Du café ?
– Non, non laisse tomber, le jus d’ananas ce sera très bien ! Soupira-t-elle.
Ils s’assirent sur le canapé, devant la table basse ou avaient été posé les verres de jus de fruits, ils étaient l’un près de l’autre, parlant de tout et de rien, de la météo, du week-end, de l’actualité, et d’autres billevesées.
– Tu avais parlé d’une surprise ! Dit un moment la jeune fille ?
– Hum… oui, j’ai une surprise !
– Alors c’est quoi ?
– Euh, j’ai pensé qu’on pourrait faire un petit truc tous les deux !
– Hummm, un petit truc, pourquoi pas ? et tu penses à quoi, précisément ?
– Ben, juste un petit truc, on ne va pas se lancer dans des machins trop compliqués la première fois, ce ne serait pas sérieux !
Marie-Adélaïde n’en revenait pas ! Elle avait mis les points sur les i, pensant que le garçon mordrait à l’hameçon, mais sa façon de présenter la chose tournait au grotesque, mais bon, ce n’était pas ça le plus important…
– Et alors ce petit truc c’est quoi ?
– Ben j’ai trouvé un schéma sur un bouquin chez un spécialiste !
– Hein ?
– Oui, c’est drôlement bien expliqué, je trouve que sur les vieux bouquins ils expliquaient mieux que maintenant, c’est plus clair, et puis au moins ce n’est pas traduit du chinois !
– Ah, bon ?
– Tu veux qu’on essaie ?
– C’est-à-dire je ne vois pas bien pourquoi on aurait besoin d’un schéma…
– Ah si ! C’est indispensable sinon on mélange tout !
C’était au tour de Marie-Adélaïde d’être dubitative, entre la chance inouïe de rencontrer enfin quelqu’un qui la considérait comme une vraie femme et cette façon neu-neu d’entamer les choses sérieuses, son esprit balançait sévère…
– Tu sais comment ça s’appelle, ce truc ?
– Non, mais tu vas me le dire !
– La brouette de Zanzibar !
– La brou… mais c’est quoi ?
– Attends, je vais tout te montrer !
– Euh, tu ne préfères pas que je prenne moi-même les choses en main, parce que là on est en train de s’embarquer je ne sais pas où ? Rétorqua la jeune femme !
– Ah, ben, c’est comme tu veux, si tu préfères, je te laisse faire, et je te regarde, j’interviendrais juste si tu te trompes… parce que ce n’est pas évident la première fois !
– Mais qu’est ce que tu racontes ?
– Bon allez je vais te la montrer !
– Me la montrer… oui c’est une bonne idée, ça montre la moi, et après on improvisera ? Mais je ne voyais pas vraiment les choses comme ça…
Alors sans l’entendre, Piere-Octave retira le napperon situé sur un coin de la table basse dévoilant des petites pièces de bois ainsi qu’un vieux bouquin ouvert à une page montrant un schéma de montage !
– J’ai fais toutes les petite pièces moi-même, il ne reste plus qu’à les assembler, si tu veux je te regarde faire… mais tu vas où, Marie-Adélaïde, pourquoi tu t’en vas ?
Ursulin (Pâques 2005)
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